Elles exercent le métier qu’elles ont choisi malgré leur handicap

À l’occasion de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées, l'ESAT Hors-les- murs de LADAPT Hauts-de-Seine à Châtillon avait invité le 16 novembre dernier tout le public qu’elle accompagne à assister à une conférence sur le thème « Femmes handicap travail » : Olfa, Valérie et Chantal sont venues raconter comment elles sont parvenues à exercer en milieu ordinaire de travail le métier qu’elles avaient choisi, et Anita comment elle se réorientait vers un nouvel emploi. Des récits pleins d’optimisme et d’espoir, qui ont tenu en haleine l’auditoire jusqu’au goûter final.
Ce mercredi de novembre, le ciel est bas et la pluie tombe drue. Pourtant l’ambiance est à l’enthousiasme dans la salle de réunion du pôle médical de Ladapt Châtillon. Une cinquantaine de personnes suivies par l’Esat hors-les-murs et le Dispositif d’emploi accompagné ont répondu à l’invitation de leur référent. Après un discours d’Yves Robert, directeur de l'ESAT Hors-les- murs de LADAPT Hauts-de-Seine , vont se succéder Anita, Olfa, Valérie et Chantal. Même si leurs histoires sont bien différentes, elles ont en commun d’avoir repris leur vie en main quand le destin en a brisé le cours, avec une vaillance qui force l’admiration.
« Même si mes diplômes ne comptent plus vraiment, je vise toujours plus haut, j’ai des projets en tête »
Anita est la première à prendre la parole mais l’exercice lui fait encore peur. Sa mémoire est fragile. « S’il vous plaît, ne m’interrompez pas, sinon je perds le fil de mon discours et je dois recommencer du début. » D’emblée, pourtant, elle impressionne par sa capacité à parler debout et sans notes. Sa voix chantante, son visage lumineux laissent transparaître son goût de vivre retrouvé. Son envie de témoigner de l’issue heureuse de son long combat saisit l’assistance. Dans la trentaine, la jeune femme menait une brillante carrière de responsable qualité hygiène et sécurité quand elle a été victime de plusieurs AVC. Ils lui ont fait perdre la parole, la capacité de marcher, de lire et d’écrire. « J’ai eu des pensées sombres mais je me suis dit : pourquoi les thérapeutes s’acharnent-ils à m’aider ? Il doit y avoir quelque chose à faire. Au pôle santé de Ladapt de Châtillon, j’ai été le moteur de ma rééducation. » Alors elle réapprend tout à force de courage et de volonté. Deux ans plus tard, à 39 ans, elle décide de retrouver un travail. Elle entre dans un Esat du pays Basque. « J’avais fait la liste de toutes mes compétences, j’ai dit que j’avais un bac+5. Mais on m’a répondu : à l’Esat, ce n’est pas possible. J’ai donc commencé par le conditionnement et la mise sous pli mais, comme j’étais une femme, mes collègues ont refusé que je porte. J’ai trié des factures, traité des dossiers plus importants de A à Z. En stage restauration, au bout d’une semaine, j’avais déjà appris toutes les règles mais je suis tombée à cause de mes problèmes d’équilibre. On nous traitait tous à la même enseigne. »
Dans le même temps, Anita a retrouvé l’envie de se dépasser qui l’animait avant sa maladie. Pour pouvoir évoluer davantage, elle choisit de réintégrer un Esat en Île-de-France en 2021. Sa référente à l’Esat hors-les-murs de Ladapt Hauts-de-Seine lui demande ses diplômes : « J’ai compris que le regard des moniteurs avait changé, souligne Anita. On m’a proposé de faire des formations. On m’a confié le rôle de rédacteur dans un jeu car je sais prendre des notes et les restituer. On m’a amené à participer à différents ateliers : gestion du stress, yoga, dessin, méditation, sorties… Je prenais treize médicaments, je n’en ai plus que trois. C’était inimaginable ! » Les nombreuses activités de l’établissement l’aident aussi à se réapproprier ses savoirs, ses talents, son autonomie. « À l’atelier théâtre, je ne sais pas comment ils font, mais j'ai réappris à exprimer mes émotions. Je demandais cela depuis sept ans. J’ai aussi retrouvé le sens de la répartie, certains automatismes… » À la suite d’une simulation d’entretien très réussie pour le Duoday, sa référente l’a inscrite à un bilan de compétences de six mois. « Mes diplômes ne comptent plus vraiment, mais je vise toujours plus haut, j’ai des projets en tête. Je sais que je ne travaillerai plus en production mais dans un métier de l’être » déclare Anita devant l’auditoire médusé, qui l’a écoutée parler plus d’une heure et l’applaudit. « J’ai retrouvé la capacité de dire non. J’ai retrouvé ce qui me faisait. Bravo à l’Esat mais ce n’est pas évident de se faire challenger sans cesse ! »
« J’avais besoin d’un travail répétitif et j’ai fait une belle rencontre : une personne a eu la patience de me l’apprendre »
Au tour d’Olfa de parler : « Ma réussite est d’avoir obtenu la RQTH, un emploi qualifié en CDI et mon autonomie personnelle », énonce fièrement celle qui dit avoir été longtemps timide. C’est l’aboutissement du projet personnel qu’elle a mené avec une unité expérimentale d’évaluation, de réentraînement et d’orientation sociale et professionnelle (Ueros), structure dédiée à l’accompagnement de personnes souffrant de traumatismes crâniens. Atteinte d’une méningite à la naissance, Olfa a conservé des déficiences cognitives, notamment des difficultés d’apprentissage et de mémoire. La jeune femme a suivi une scolarité ordinaire et est devenue animatrice dans une école maternelle : « J’appréciais ce travail, j’aime la relation avec les enfants et je désirais la conserver. Mais j’étais vacataire, c’était précaire. » Alors elle signe un contrat de mise à disposition de deux ans avec l’Esat hors-les-murs de Sèvres pour se former au métier d’agent de restauration collective. « J’avais besoin d’un travail répétitif compte tenu de mes difficultés cognitives, précise Olfa. Et j’ai eu la chance de faire une belle rencontre dans un collège : une personne a eu la patience de m’apprendre ce métier. » Sa dyscalculie, qui n’avait pas été diagnostiquée pendant ses études, l’entrave pour calculer les grammages des entrées, fromages et autres desserts. Avec l’aide d’un orthophoniste, elle réapprend les bases du calcul. « Je ne croyais pas trop que je pourrais dépasser mes difficultés. Pourtant, avec des outils adaptés, des balances, j’y suis parvenue, et j’ai acquis de la rapidité au travail. Je suis même souvent la plus rapide dans mon équipe ! » Chacun mesure dans les mots feutrés d’Olfa la joie profonde d’avoir atteint son objectif. « Je fais ce métier depuis cinq ans, à mi-temps. À la suite de la mise à disposition, j’ai été recrutée en CDI par une grande société. Cela procure des avantages sociaux. J’ai eu aussi la chance d’y rencontrer des personnes bienveillantes qui m’ont encouragée et aidée à me révéler. » Olfa n’a pas dit son dernier mot : elle vient de se former au métier de commis de cuisine. « Cette certification est une grande satisfaction. »
« J’ai connu la différence entre être valide et invalide dans le même poste »
Autre histoire, autre ton : Valérie s’exprime avec sérénité mais détermination. « J’ai connu l’état de personne valide puis celui de non valide. Et la différence entre être au milieu de mes collègues debout puis assise dans mon fauteuil. » Elle débutait sa carrière de juriste quand elle a été victime d’un accident qui lui a fait perdre la mobilité des jambes. La très jeune femme avait été embauchée un an plus tôt. Lors d’un séminaire organisé par son entreprise, elle a dévissé pendant un exercice d’escalade, à cause d’une défaillance de sécurité, et a subi un écrasement de la moëlle épinière. La chute a été reconnue comme accident du travail. Dans le public, plusieurs jeunes gens expriment l’émotion que suscite en eux son histoire. Elle répond calmement à leurs observations.
« L’entreprise, du fait de sa responsabilité, à la fois juridique et morale, a tout fait pour faciliter mon retour au travail. Sinon, j’aurais eu beaucoup de mal à récupérer mon poste, affirme Valérie. Il aurait été pourtant inadmissible que l’employeur me considère incapable de reprendre ! Je n’avais pas d’autres séquelles apparentes que mon handicap physique. Heureusement, j’ai bénéficié du suivi très appuyé du médecin du travail et mon entreprise a été accompagnée par l’Agefiph. Il existe toujours des solutions pour s’adapter à la personne. » Dans le cas présent, un taxi pris en charge par l’employeur amenait chaque jour Valérie au travail.
Conserver son travail l’a beaucoup aidée à reprendre le cours de sa vie. « J’aimais mon métier et mes collègues, et j’étais déjà très bien intégrée. Je suis revenue à trois cinquièmes, avec une journée de télétravail. Tous ceux qui me connaissaient avant mon accident n’ont fait aucune différence. Auparavant, je voyageais pour le travail, désormais, comme j’avais davantage de difficultés à me déplacer en autonomie, mes missions ont été adaptées. »
Mais, à mesure que les anciens sont partis et que d’autres salariés les ont remplacés, Valérie a vu la bienveillance à son égard diminuer. Du fait de son handicap, ses compétences de juriste et son expertise ont été mises en doute par certains nouveaux collègues et elle a dû se défendre à chaque fois. « Quelques-uns ont même eu des attitudes cyniques. Ils ont pris prétexte de mon handicap pour m’enlever des responsabilités mais je suis restée combative. J’ai travaillé finalement vingt ans dans cette société et suis aussi devenue représentante du personnel au comité d’entreprise. » Depuis son licenciement économique, elle a presque renoncé à rechercher un emploi de juriste : pas question de reprendre à plein temps et trouver un temps partiel lorsqu’on est cadre est une gageure. Alors elle a fait le choix de s’épanouir dans le monde associatif et est devenue écrivain public.
« Dans le travail, il faut afficher sa fierté de personne handicapée »
Précédée par son labrador noir, Chantal, la soixantaine, se plante bien droit derrière le micro et interpelle avec assurance l’auditoire : en un instant elle vous fait oublier que son regard est absent. Pleine d’humour, elle semble aussi joyeuse que son propos est grave et lucide. « J’ai mené ma carrière avec plus ou moins de bonheur, en éternelle adaptation. Il est difficile de se faire à sa vie de personne handicapée. » Atteinte d’une rétinopathie, elle a progressivement perdu la vue.
« J’ai débuté comme auxiliaire de puériculture et ai exercé ce métier pendant dix-huit ans, raconte Chantal. Quand ma vue a commencé à baisser, j’ai compris que je ne pouvais plus continuer. Je me suis donc lancée dans les études et j’ai passé des concours. J’ai été reçue à tous. J’aurais pu être infirmière [rires] ou éducatrice. J’ai choisi l’école d’assistantes sociales. J’ai dû me bagarrer avec les jeunes étudiantes pour leur faire comprendre que, malgré ma déficience visuelle, j’étais bien mieux organisée qu’elles. J’ai obtenu la RQTH. Ensuite j’ai commencé à circuler avec une canne blanche. Malheureusement, elle introduit une distance avec les autres. »
Difficile de faire comprendre dans les équipes qu’elle est à même de travailler comme tout le monde mais elle y réussit : en tant qu’assistante sociale de secteur, elle fait les visites à domicile. « Je n’ai jamais eu peur et n’ai jamais rencontré de problèmes même dans les quartiers difficiles. » Avec le temps, il devient nécessaire de l'équiper en matériel pour lire et écrire. « J’ai dû me battre avec le médecin du travail et l’ergonome. Dans l’Administration, c’était très difficile. Le matériel est arrivé au bout de quatre ans. À ce moment-là, j’avais déjà besoin d’un(e) auxiliaire de vie pour travailleur handicapé. La première qui m’a été envoyée n’était pas formée : elle commettait plus de bêtises qu’autre chose. Dans ce cas, on fait avec les gens qui veulent bien vous aider. » Et un jour vient où il faut former tout le monde à la présence du chien : « Toute une éducation ! » Chantal n’a jamais pensé à s’arrêter, elle a exercé son métier jusqu’à sa retraite. Depuis, elle s’est engagée depuis dans la vie associative pour défendre la citoyenneté des personnes handicapées : « Dans le travail, il faut afficher sa fierté. » Son optimisme emporte l’adhésion du public, qui s’enflamme et repart empli d’une énergie nouvelle.
Anne a été journaliste dans des magazines d’actualité pendant toute sa carrière. En 2019, le mensuel dans lequel elle exerçait a fermé. Étant en situation de handicap, elle a choisi de devenir pigiste pour pouvoir travailler à temps partiel. Elle est suivie par le Dispositif d’emploi accompagné de Ladapt Hauts-de-Seine.